DakhaBrakha

Magie ukrainienne: DakhaBrakha... kadabra !

May 04, 2017

Parmi les groupes de cette mouvance mondiale dont l'objet est d'actualiser les patrimoines musicaux dans le contexte de la world 2.0, DakhaBrakha est à la fois l'un des plus novateurs et l'un des plus spectaculaires. Voix slaves superbement incarnées, costumes atypiques, métissages sonores inspirés et d'autant plus ingénieux.

Parmi les groupes de cette mouvance mondiale dont l'objet est d'actualiser les patrimoines musicaux dans le contexte de la world 2.0, DakhaBrakha est à la fois l'un des plus novateurs et l'un des plus spectaculaires. Voix slaves superbement incarnées, costumes atypiques, métissages sonores inspirés et d'autant plus ingénieux.

Au confluent de la performance théâtralisée et de l'avant-folk, ce quatuor ukrainien rayonne dans tous les marchés culturels d'importance, celui de Montréal ne fait pas exception. DakhaBrakha, qui signifie « prendre et recevoir », a ce pouvoir attractif d'investir la salle Wilfrid-Pelletier, c'est dire. D'où cet entretien avec Marko Halanevych, seul membre masculin de la formation.

À l'origine, DakhaBrakha était le projet d'accompagnement d'un théâtre d'avant-garde en Ukraine. Comment cela a-t-il acquis son indépendance ?

Oui, nous avons commencé en composant et exécutant notre musique pour les performances théâtrales du théâtre Dakh, à Kiev. Le fondateur et l'idéateur de ce projet était Vlad Troitskyi. Nous avons travaillé avec lui et, d'ailleurs, il nous arrive encore de collaborer à ses créations présentées en Europe.

 

Où voyez-vous aujourd'hui l'aspect théâtral dans votre approche artistique ?

Nous avons encore un engagement important avec le théâtre. Cette dimension de notre travail a étoffé notre propre théâtralité sur scène, notre représentation visuelle et aussi notre vision de la musique. Cela nous a menés à imaginer des ambiances spéciales et des tensions dramatiques devant public. Sans aucun doute, le théâtre est partie intégrante de notre art.

Quels étaient les genres impliqués dans votre musique à l'origine et quels furent les ajouts stylistiques en cours de route ?

Depuis notre fondation, nous avons cherché à rythmer des chants folkloriques ukrainiens généralement lents, doux et enveloppants. Nous pouvons, par exemple, choisir des rythmes typiques du trip hop ou drum'n'bass et les juxtaposer à ces airs traditionnels. De manière générale, nous essayons de trouver de nouveaux contextes sonores à ces chants, nous les sortons ainsi de leur contexte traditionnel.

Quelles sont vos influences au-delà des traditions de l'Ukraine ?

Nous sommes très influencés par le minimalisme contemporain de Michael Nyman et de Philip Glass, dont les approches se fondent parfaitement dans les traditions vocales ukrainiennes. Cette façon de faire donne une nouvelle vie à notre folklore, en lui conférant de nouvelles harmonisations et textures. Nous sommes aussi influencés par diverses sources, notamment le blues du désert de Tinariwen, le rock industriel d'Einstürzende Neubaten ou Le Mystère des voix bulgares.

Шлях (The Road) est votre plus récent album. Qu'y avez-vous principalement accompli artistiquement ? Cette matière sera-t-elle principalement mise en valeur au concert montréalais ?

Des critiques ont convenu que l'influence marquante de cet album se trouvait dans les musiques traditionnelles américaines. Pour nous, c'est difficile à dire... le public peut se faire une meilleure idée lorsqu'il assiste à nos concerts ! Pour celui de Montréal, nous prévoyons jouer trois ou quatre pièces de Шлях. Or, nous comptons plusieurs autres bonnes pièces sur nos enregistrements précédents, alors nous choisirons d'interpréter ce que nous avons de meilleur à offrir.

Où êtes-vous actuellement installés et quel est le lien avec votre lieu de résidence ?

Au même théâtre Dakh de Kiev, là où le groupe est né. Nous en apprécions toujours l'atmosphère propice à la création. Notre art découle directement de la culture ukrainenne, c'est la source première qui détermine notre esthétique. Nous essayons d'absorber le meilleur de ce que nous voyons et écoutons à l'étranger, les rythmes africains et les motifs du blues sont parties intégrantes de nos pièces originales, nous utilisons des percussions afro-latines ou perses, le ukulele hawaiien ou encore le didgeridoo aborigène australien, etc. Mais notre musique se fonde d'abord sur la mélodie et la polyphonie ukrainiennes. Chaque nation a sa spécificité et il est important de la maintenir.

Dans le contexte des régressions identitaires de plusieurs nations sur la planète, comment vous situez-vous en tant qu'artistes ?

Nous traversons une période difficile et complexe, partout dans le monde dit civilisé. Pour nous, par exemple, les visées impérialistes russes sont particulièrement douloureuses. Une partie de l'Ukraine est occupée, des compatriotes tombent sous les armes russes. De manière générale, nous ne pouvons faire abstraction de ce contexte national mais aussi de cette tendance généralisée dans plusieurs pays. Elles sont toutes liées et ont des conséquences sur le monde entier. Par exemple, les bombardements russes en Syrie incitent des populations syriennes à quitter leur pays, ce qui augmente les tensions dans les pays hôtes, et aussi en Amérique du Nord comme on peut l'observer.

En tant qu'artistes, nous soutenons la paix et la justice, réprouvons toute agression et toute forme d'intolérance... tout en demeurant bien conscients que nous n'exerçons qu'une petite influence dans le processus politique. Comme c'est le cas depuis au moins un siècle, notre destinée est dans les mains des politiciens. Ce qui ne garantit pas la fiabilité de ces mains...

 

ALAIN BRUNET
La Presse

Publié le 12 avril 2017 à 14h00

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